Extrait LE TOUT PREMIER ROUND

- C'est... pour ma fille ! a balbutié mon père à l'homme qui venait à notre rencontre, vêtu d'un survêtement bleu.
- Euuuuh, d'accord, a fait l'autre en m'estimant du regard. Quel âge elle a ?
- Sept ans !
- Uuuuuuuf, il a sifflé, la bouche en avant, elle est pas un peu jeune ?
- Non non, elle aime ça ! a répondu mon père, enthousiaste. C'est elle qui a voulu !
Ses mains tremblaient et j'ai même remarqué que son accent italien s'entendait plus que d'habitude.
- C'est toi qui veux faire de la boxe ? m'a demandé l'homme en survêtement bleu en se penchant vers moi.
Il avait le nez de traviole et une énorme cicatrice sous l'oeil gauche.
- Oui, j'ai dit en levant mes poings devant ma figure, sourcils froncés, comme m'avait montré papa.
- OK ! Alors viens un peu par ici qu'on voie ça ! m'a lancé l'homme au survêtement bleu.
Il m'a fait monter sur le ring, a positionné ses mains devant lui :
- Vas-y, frappe !
C'est ce que j'ai fait. Direct entre les deux yeux. Il s'est redressé, a sifflé, une main sur le front, et s'est retourné vers mon père :
- OK, c'est bon !
Je me souviens encore de l'effervescence humide qui, d'un coup d'un seul, avait figé net tout le gymnase. Je sens encore les regards offensifs des boxeurs alentour s'attendrir, l'espace d'un instant, sur moi, petite femelle au short trop long, dressée de toute sa petite hauteur face à un géant à grosses pognes. J'entends encore leurs rires épais fuser lorsque, de mes mini-poings écarlates, je mets une énorme patate au grand manitou, mine de rien légèrement sonné.
Je me souviens de toute cette effusion joyeusement taquine mais surtout du sourire gêné de mon père qui, tour à tour, me chuchote des reproches et se confond en excuses auprès du prof et puis, une fois la porte de la salle franchie, me hisse sur ses épaules en sifflotant la Marseillaise.