You're currently on:
En exergue du roman figure cette citation de Jimmy Hoffa, qui fut le patron des Teamsters, le syndicat des camionneurs américains, personnage réel bien connu des lecteurs d?Ellroy: « Chaque homme a son prix; le vôtre, c?est combien? » Le sujet du livre est là, dans cette simple phrase: la corruption de toutes les valeurs, politiques, civiques, humaines, par l?argent. Racketter les uns pour acheter les autres, faire pression en coulisse pour étendre son pouvoir sur le devant de la scène, c?est cette lutte sournoise et violente du fort contre le faible, de l?homme intègre contre les gangsters que dépeint Thomas Kelly. C?est le plus vieux sujet du roman noir, revisité avec force et talent, car au-delà de l?histoire de cette élection syndicale truquée, des luttes d?influence et des enjeux financiers, il y a aussi l?histoire d?une ville que Thomas Kelly continue de narrer, comme il l?avait entrepris dans Le Ventre de New York (Rivages/Noir n° 396). Plus encore que la vie des puissants, il veut évoquer celle des fils et petits-fils d?émigrés irlandais ? policiers, pompiers, dockers, ouvriers ? les vrais bâtisseurs de la cité. C?est à travers la description des lieux ? bars irlandais peuplés d?ivrognes « kamikazes », chantiers, salles de réunion etc. ? et une approche subtile des dialogues ? chaque personnage évolue dans le registre qui lui est propre ? que le monde de Kelly prend vie, se déploie en une fresque aux couleurs violentes et contrastées.
Rackets est un roman noir qui tient en haleine, une vraie histoire de gangs et de Mafia, un document sur le syndicalisme américain, mais c?est aussi une élégie à la gloire de la classe ouvrière italoirlandaise, avec ses contradictions, ses crimes et ses compromissions, son énergie, sa loyauté, et son humanité. L?auteur a le sens de la tragédie et de l?épopée, et il confirme dans ce livre ambitieux, aux ramifications nombreuses, le souffle de romancier qu?on avait admiré dans Le Ventre de New York. S?il se fait le chroniqueur d?un monde en voie de disparition, il est, lui, bien vivant en tant que porte-parole du roman social et urbain d?aujourd?hui.